Bonjour Luca, tu es formateur à Objectif 3D aujourd’hui, mais vu ton parcours j’ai 1000 questions à te poser !
Tout d’abord, peux-tu nous expliquer en quoi consiste le travail d’un Character Animator. Quelles sont les compétences nécessaires pour faire ce métier ?
Le métier d’animateur de personnages dans les films d’animation ou dans le jeu vidéo est un peu l’équivalent de celui d’acteur dans le cinéma. Il consiste à rendre vivant et crédible un personnage à l’écran. La différence avec un acteur, c’est qu’il joue avec son propre corps, l’animateur, lui, joue avec une « marionnette ». Les attitudes, le rythme, le poids, les expressions, les regards, doivent donc être réfléchis, étudiés, choisis et planifiés en amont par l’animateur pour qu’il puisse ensuite les retranscrire dans son personnage.
Il faut donc, dans un premier temps, être curieux, passionné et méticuleux pour essayer d’analyser comment bouge une personne, ses postures. Il faut décortiquer ses mouvements, ses gestes, savoir combien de temps il faut pour telle action ou telle autre, quelle partie du corps se met en route la première, comment on garde son équilibre ou comment le poids du corps est reparti.
Ensuite il faut l’injecter dans le personnage, l’interpréter et parfois même l’exagérer.
Ceci est la partie physique mais il faut aussi donner une personnalité et un caractère unique aux personnages, cela rend le challenge encore plus complexe et intéressant.
Quel a été ton parcours avant d’enseigner cette passion aux élèves d’Objectif 3D. Et qu’est ce qui t’as amené à devenir formateur ?
Depuis toujours j’aime le dessin et l’illustration, naturellement mes études se sont orientées vers ces domaines.
J’ai grandi avec des films de cinéma d’animation, les grands classiques de Disney. J’étais émerveillé et fasciné en regardant tout ce que ces géants de l’animation (les animateurs du studio Disney) étaient capables d’accomplir avec un simple crayon.
Je rêvais de pouvoir en faire autant un jour mais, à l’époque, vivant à l’autre bout d’une ville où les studios d’animation étaient quasi inexistants, à Rome, en Italie, cela paraissait quasiment impossible. Néanmoins, après avoir été diplômé en Illustration à l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, j’ai suivi une formation à la faculté qui m’a initié à ce qu’on appelait à l’époque les Images de Synthèse, la 3d et l’ordinateur !
J’ai enchaîné avec un stage en animation à Paris, sur une des toutes premières séries télé entièrement produite par ordinateur: Insektors.
C’était la préhistoire: sur le marché mondial il y avait juste Pixar qui produisait quelques courts-métrages, des studios parisiens qui faisaient quelques publicités et un autre canadien.
Le studio m’a finalement embauché pour finir la série et ensuite pour réaliser un moyen métrage. Malgré cette expérience, mes connaissances de l’animation restaient plutôt basiques et intuitives et le dessin me manquait. J’ai donc arrêté l’animation 3d et j’ai commencé à travailler pour différents studios ‘traditionnels’ (ceux qui travaillaient avec un crayon et un papier).
Après différents jobs, j’ai atterri dans le seul studio parisien qui produisait encore des films comme à l’époque de Disney. Cela m’a permis de côtoyer des grands professionnels qui avaient travaillé sur des longs-métrages chez Disney ou Amblimation à Londres. C’est grâce à la disponibilité et la sympathie de ces collègues très doués que j’ai commencé à être sensibilisé aux techniques et aux principes de base.
J’ai ensuite à mon tour, pu mettre en pratique tout cela et progresser dans mon apprentissage en travaillant sur des films à l’étranger et en France, d’abord en dessinant et ensuite en reprenant clavier et souris car, entre-temps, une très grande majorité de productions avaient adopté ces outils.
Après quelques années, j’ai eu le désir de partager ce que j’avais pu glaner sur le terrain avec ceux qui, comme moi, étaient passionnés par cet art. J’ai en quelque sorte renvoyé l’ascenseur et fait part de mon savoir comme auparavant l’avaient fait tous ces collègues talentueux et généreux que j’ai pu croiser.
Tu as travaillé dans des studios réputés il me semble, peux-tu nous en citer quelques-uns. Sur quels projets as-tu participé ?
En effet, pendant mon périple, j’ai eu la chance de pouvoir intégrer des grands studios tels que Dreamworks Animation ou Sony Imageworks. Parmi les plus connus, il y a eu : Eldorado, Spirit, Sinbad, Gang de requins ou encore Les rebelles de la Forêt.
Tu as passé du temps aux Etats-Unis, peux-tu nous expliquer comment ça s’est passé ?
Oui, j’y suis resté quelques temps. En réalité, c’est arrivée de manière plutôt naturelle et imprévue : j’ai travaillé à Paris dans ce petit studio dont je parlais (Bibofilms), on faisait surtout des petits films publicitaires. C’était très bien car la demande était qualitative et quantitative mais les contrats plutôt courts ; un mois parfois deux pas plus. Pas assez pour mettre vraiment son pied à l’étrier et progresser.
C’est lorsque certains de mes collègues de l’époque ont été contactés par le tout nouveau studio Dreamworks qui venait de finir son premier film Le prince d’Egypte, que j’ai décidé d’y présenter mes travaux et j’ai été recruté pour un film, puis un deuxième et ainsi de suite. J’étais parti avec l’idée de voir comment fonctionnait la fabrication d’un film dans un grand studio hollywoodien et finalement,
sans que je m’en aperçoive, plusieurs années sont passées.
Tu as travaillé pour Dreamworks et Ubisoft…tu préfères évoluer dans le monde du jeu vidéo ou du ciné ? Pourquoi ?
Mon expérience du jeu vidéo se limite en effet au jeu Valiant Heart chez Ubisoft. J’ai bien aimé ce projet car il était très intéressant du point de vu créatif et artistique. De plus, l’équipe était relativement réduite ce qui change par rapport aux grosses productions très hiérarchisées dont j’avais l’habitude. Je n’ai pas spécialement de préférences, mais je connais tout de même mieux un secteur que l’autre. Tout dépend du projet !
Ce sont toujours des expériences enrichissantes, si on a la chance de pouvoir choisir sur un coup de cœur.
Dans tous les cas, ces dernières années, je constate beaucoup d’innovations, de créativité et de belles réalisations du côté du jeu vidéo, surtout chez les indépendants, et cela donne vraiment envie.
Un conseil pour les futurs Luca Erbetta ?
Pour les animateurs en devenir ? Mes collègues de demain ?
Je leurs suggère de rester curieux, d’être à l’affût de tout ce qui se passe autour d’eux dans l’animation et dans les arts visuels en général.
De s’en nourrir, de s’inspirer de tout ce qu’ils trouvent beau ou intéressant, pour essayer de comprendre et toujours progresser. Et surtout continuer à pratiquer et expérimenter.
Enfin, peux-tu nous raconter une anecdote en studio… ? Du croustillant !
Une anecdote ? Croustillante je ne sais pas, mais bon voilà. A ses débuts, Dreamworks avait comme grande ambition de devenir un acteur majeur dans les médias mondiaux.
Un peu comme un nouveau Disney, il y avait plusieurs départements un pour les films ‘prise de vues réelles’ (avec Spielberg aux commandes), un ‘jeu vidéo’, un ‘animation cinéma’, un ‘animation télé’ et, pour finir, un département ‘musique’. C’était également le seul studio que je connaisse qui offrait les repas gratuits à ses employés, petit-déjeuner et repas de midi compris (et soir aussi, en cas d’heures supplémentaires).
Il y avait une cuisine dans chaque recoin, avec sucreries et sodas à volonté. Ce qui, immanquablement, provoquait un surpoids évident chez les nouveaux arrivants, surtout les européens
qui n’avait jamais vu une pareille abondance !!
A un moment donné, quelques génies des Ressources Humaines, ont pensé que pour le bien-être des animateurs, il aurait été agréable de combiner les repas avec des concerts live et en plein-air des stars du label Dreamworks Music. Pourquoi pas ? Le seul point noir : l’unique genre musical produit par le label Dreamworks était de la Country.
Je ne suis déjà pas très fan de ce qu’on croit être la Country Music ici en Europe mais, aux Etats Unis c’est encore une autre paire de manches. En effet, là-bas le terme « Country » comprend beaucoup plus que de la musique de cow-boys et rien de vraiment agréable à écouter. Bref, nous les animateurs, on appréciait moyennement ces gueulards qui venaient déranger nos repas de midi avec
leurs nuisances sonores. Autant dire, que l’annonce de la fermeture impromptue du label musical Dreamworks Musique a été accueillie dans la retenue et la tristesse de circonstance mais chacun d’entre nous, dans son for intérieur, était assez satisfait et soulagé de retrouver le calme et la convivialité des repas de midi entre collègues.
Découvrez les Illustrations et Dessins de Luca sur son Blog : https://lucaerbetta.blogspot.com/
Merci Luca, Arrivederci !